Zen, COVID, et les funérailles de Deshimaru

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Kusens de Maître Kosen
Zen, COVID, et les funérailles de Deshimaru
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Ce n’est pas si facile de préparer un kusen, car l’enseignement doit être ici et maintenant. Souvent, on prépare quelque chose qui peut être très intéressant, mais au moment de le dire, ce n’est pas le bon moment, ce n’est pas l’ambiance, les gens ne sont pas forcément réceptifs.

Ce kusen traîne sur ma table depuis presque un an. Je viens de jeter un coup d’œil et je trouve qu’il s’accorde bien à la situation actuelle [pendant la pandémie de COVID]. Je vais vous lire les paroles des anciens.

Un moine demanda à Tosan :

– Tous les pratiquants ne sont-ils qu’un magma de maladies. Vous ne les guérissez pas ?

Tosan lui répondit :

– Non, non ! Moi, non.

– Pourquoi ?

demanda le moine.

– Parce que si vous me demandez de chercher la vie, je ne peux pas la trouver. Si vous me demandez de chercher la mort, je ne peux pas la trouver non plus.

répondit Tosan.

Maître Nyojô, le maître de Maître Dôgen, enseignait pendant des funérailles. J’ai moi-même officié à plusieurs funérailles avec Maître Deshimaru au Père-Lachaise à Paris. J’ai surtout participé à la cérémonie de funérailles de Maître Deshimaru lui-même. C’était très impressionnant. Au Japon, la crémation n’est pas comme en Europe. En Europe, tout est réduit en poudre à cause de la chaleur très élevée. Au Japon, la chaleur est moins élevée et il reste encore la structure des os.

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On ramasse les os du défunt avec des baguettes et on les met dans des urnes. Je ne sais plus s’il faut ramasser un os à deux ou non, mais il y a des traditions spécifiques là-bas. J’ai donc ramassé les os de Maître Deshimaru et je les ai mis dans l’urne. Quand je suis revenu à Paris, Étienne, qui était malin, m’a dit :

« – Mais tu n’as pas gardé un os pour toi comme relique ? »

« – Merde, je n’y ai même pas pensé ! »

Il faut dire que j’étais assez impressionné. J’aurais pu ramener une relique de Maître Deshimaru, mais je n’y ai pas pensé. Enfin, tous les kesa et autres objets sont des reliques.

En Europe, on se contentait de chanter l’Hannya Shingyo et de regarder le cercueil brûler, mais Maître Nyojô donna un enseignement pendant les funérailles :

Les 10 000 existences retournent au un. Vivre, c’est comme porter une chemise. À votre avis, dans quel lieu retourne le un ? Mourir, c’est comme quitter ses pantalons. Lorsqu’on se dépouille de la vie et de la mort et qu’on n’en a plus rien à foutre, la lumière spirituelle de la voie de l’un apparaît, unique et éternelle.

Ce n’est pas encore mon cas (ça, c’est moi qui le dis !).

Pendant la crémation, alors que les flammes dévoraient le cercueil, il ajouta :

Nom de Dieu! Les flammes puissantes qui brûlent mettent en œuvre la grande activité. La fameuse expression « Dans chaque atome se trouve une infinité d’univers » n’est pas interchangeable.

Ce n’est pas évident de n’en avoir rien à foutre de la vie et de la mort. Souvent, on dit : « Moi, je m’en fiche de mourir, mais je ne veux pas souffrir. » Mais mourir, ça fait souffrir. Et c’est vrai que maintenant, toute notre société, notre monde entier est devenu intime avec l’idée de la mort. On est obligé d’en tenir compte dans notre comportement.

L’essentiel de l’enseignement du zen, c’est le comportement, l’art du comportement. Ce n’est pas important de croire au virus ou non, de croire que c’est une supercherie ou que c’est vrai, que tout le monde est malade et que tout le monde va mourir, qu’il y a un grand risque, qu’il faut se protéger soi ou protéger les autres. Mais la pratique du comportement, de la délicatesse, Sensei en parlait souvent.

Il y a deux expressions pour dire ça dont je me souviens. La délicatesse, c’est nin-niku, en japonais. On dit que le zen soto, le zen de Dôgen, est nin-niku, délicat. Le zen rinzaï est brutal, susan. Le comportement est souvent scandaleux. Ils poussent de grands cris, disent des gros mots, se donnent des coups de bâton… La délicatesse et la violence ne sont pas séparées de la vie, de notre histoire humaine.

Mais c’est bien de prendre de la distance par rapport aux autres. Dans les temples, on ne serre pas la main, on se salue juste en s’inclinant légèrement sans regarder l’autre, les mains sur l’abdomen, comme après le kin-hin. On ne regarde même pas l’autre dans les yeux.

C’est très intéressant d’étudier non seulement le zen japonais, mais aussi les coutumes japonaises, qui sont très différentes des nôtres. C’est très enrichissant de pouvoir voir et comprendre un autre comportement, un comportement auquel on n’est pas accoutumé.

Par exemple, pour un Japonais, regarder dans les yeux signifie avoir peur, car entre samouraïs, ils ne se regardaient pas dans les yeux, ils étaient comme en zazen. Ils regardaient à l’intérieur, ils voyaient, mais ne regardaient pas. Regarder objectivement est un signe de lâcheté, de peur. Dans notre culture, au contraire, ne pas regarder dans les yeux signifie qu’on a peur.

Cela fait du bien d’apprendre une autre tradition, de devenir sensible à un autre aspect des choses. Cet enseignement de Sensei m’a pénétré jusqu’à la moelle, car tous ces enseignements, je les ai tous écoutés, entendus en zazen. Parfois, je me dis que j’ai tout oublié de ce que j’ai appris avec Sensei. Je ne sais même plus mettre mon kesa correctement. Mais en fait, je ne les ai pas oubliés, ils sont restés dans le cerveau profond. Parfois, pendant les kusen, les souvenirs du Dharma resurgissent.