Published: 01/11/2019 | Updated: 30/05/2024
Si vous pouvez vous asseoir en zazen dans un dojo, vous n’êtes pas malade. Vous n’êtes pas fou. Si vous êtes malade, si vous êtes fou, vous ne pouvez pas faire zazen dans un dojo.
En fait, on est accepté dans un dojo. On est accepté dans la posture de zazen. C’est un don qui nous est fait. Une acceptation très précieuse. Et ça ne va pas de soi. Si on tombe malade, si on se casse une jambe, par exemple, on ne peut plus rentrer dans un dojo et pratiquer zazen.
Évidemment, on fait nos propres efforts dans le dojo. On fait nos propres efforts pour aller pratiquer le matin. Prendre la décision d’y aller. On fait nos propres efforts pour oser s’installer avec les autres, côte à côte, dans la posture. On fait nos propres efforts sur notre propre corps. Les jambes, le dos font mal. On trouve nos solutions. On abandonne. On supporte parfois une grande douleur. Mais on est accepté dans la posture. C’est un grand cadeau dans la vie.
Je continue à lire le livre Vrai zen, le premier livre écrit par Maître Deshimaru quand il est arrivé en Europe.
Maître Deshimaru dit :
Shikantaza est la définition de la bonne attitude de l’esprit.
Shikantaza, en japonais, ça veut dire « seulement s’asseoir ». On va seulement s’asseoir, mais en prenant bien la position, en suivant les directives. Par exemple, le gras de la première phalange du majeur de la main droite touche le pli de la deuxième phalange de la main gauche. Vous vous habituez à ce point. Les doigts sont superposés les uns aux autres, dans le prolongement les uns des autres. Les pouces se joignent à l’aplomb des deux majeurs. Ça peut varier un peu selon votre morphologie.
La position des mains ça s’appelle une « mudra ». La position des mains en marche méditative kin-hin, c’est une mudra. Celle des mains en zazen est une mudra qui s’appelle Hokkai jo in : la mudra de l’universalité. On ajuste son corps, ses affaires, son kesa, et on s’assoit. Shikantaza : seulement s’asseoir.
Maître Deshimaru dit :
On doit être concentré sur la posture .
On dit : « C’est surtout pour les débutants, les anciens n’ont pas besoin de se concentrer sur la posture ! » Si, c’est très important !
Les cinq points importants, dit Maître Deshimaru c’est :
- Les lombaires.
La bascule du bassin au niveau de la 5e vertèbre lombaire. Pour ça, il faut avoir un zafu à la bonne hauteur. Ça aide au basculement du bassin.Les genoux touchent par terre. Quand on prend la posture, on commence par mettre les genoux par terre. Ensuite, on ajuste son bassin sur son zafu. On bascule le bassin en avant. On redresse la colonne. - Les pouces.
Je vous ai parlé des mains. Si on met les mains correctement, les pouces ont une jolie posture. - Le menton rentré.
- La langue contre le palais.
- Le regard naturel, posé à un mètre devant soi sur le sol, à quarante-cinq degrés.
Maître Deshimaru dit :
Les soutras bouddhiques décrivent dix conditions spécifiques de l’esprit pendant zazen. Depuis l’état infernal, naraka, jusqu’à l’état de Bouddha.
Évidemment, ces dix conditions, même un Bouddha peu les expérimenter. Ce n’est pas progressif. Ce n’est pas « j’en suis arrivé à tel stade, et puis après je vais arriver à l’autre. » N’importe qui peut tomber en enfer. N’importe qui peut être un Bouddha.
Ces dix étapes constituent un processus changeant, mais sans séparation vraiment nette. On peut dire qu’il y a des étapes intermédiaires-supérieures et intermédiaires-inférieures.
1 – Naraka, l’enfer
– « C’est bien, le zazen ? »
– « Non, c’est l’enfer ! »
C’est l’état de souffrance éprouvé au commencement de la pratique, où l’esprit est confus, le corps inconfortable. On est contracté, anxieux, tourmenté, attendant avec impatience la fin du zazen. Le corps en posture déteste le zazen, à cause de la souffrance des genoux, des jambes, des épaules, de la colonne vertébrale. Le maître, qui se tient derrière, reconnaît en chacun la posture et l’état d’esprit du pratiquant. L’état de naraka s’accompagne de mouvements de gêne, causés par la douleur. Le visage est contracté, dur, crispé.
C’est le pire état de zazen.
2 – Gaki, l’avidité
Gaki, ça veut dire l’avidité. Maître Deshimaru dit « preta gaki ».
Les pretas sont les trépassés qui sont toujours affamés et qui ne peuvent pas manger. Ils sont conditionnés par le désir et l’avidité. Pendant zazen, à cette étape, on a envie d’avoir le satori, on a envie de trouver la paix, d’être en bonne santé, d’obtenir des pouvoirs, d’arrêter ses pensées, d’avoir l’illumination.
À cette étape-là, on ne peut pas supprimer la relation aux choses à travers le désir. On veut obtenir quelque chose du zazen.
3 – Animal
À cette étape, le pratiquant devient comme un animal possédé par les désirs animaux de nourriture de sexe, mais aussi parfois par la torpeur, le sommeil, l’inertie animale.
Souvent, on voit des gens qui s’assoient en zazen et qui s’endorment. Parfois, les gens restent la bouche grande ouverte et bavent. Leur respiration devient gênante et bruyante pour les voisins.
4- Asura, le combat
Ensuite vient l’état d’asura. Les asuras sont des êtres combatifs, toujours en guerre, toujours en combat. Toujours à être à se disputer, à se quereller, à être agressifs. Toujours à désirer être supérieur aux autres. Comme si on voulait gagner la course. Faire mieux que les autres. Assurer sa supériorité. On pense que son zazen est meilleur que celui des autres. On ne veut pas recevoir le kyosaku. Le maître reconnaît l’état asura à l’attitude agressive, combative. Au faciès contracté et coléreux.
5 – Ningen, l’être ordinaire
L’étape suivante : ningen.
La posture est bonne, humaine et naturelle. Mais elle n’est pas encore lumineuse comme dans les étapes supérieures. C’est la posture de l’homme ordinaire, normal. L’esprit est surtout occupé par les circonstances de la vie, par les affaires familiales, le métier. Il n’est pas coupé des préoccupations de la vie. Il n’arrive pas à oublier véritablement les préoccupations ordinaires.
6 – Devas, les dieux
Ensuite viennent les devas. Les devas, ce sont les dieux. Mais ce n’est pas tout à fait une traduction correcte. Ça viendrait plutôt des dieux grecs.
Les devas sont des êtres brillants, lumineux, radieux. Ils ont une existence agréable. Tellement agréable, qu’ils tombent dans le narcissisme. Cet état est celui des pratiquants qui sont très heureux pendant zazen. Très content d’eux-mêmes. Ils se complaisent en eux-mêmes. Certains d’entre eux prennent cet état pour le satori. Mais c’est une grande erreur.
7 – Shomon, le satori intellectuel
Ensuite vient l’état de shomon, shravaka. Dans cet état, on pense avoir le satori. Mais en fait, c’est un état où on comprend tout le zen, toute la philosophie, mais de manière dogmatique. On pense : « Je comprends ku, je comprends la vacuité, je comprends l’esprit de Bouddha, je comprends les soutras, j’ai le satori. » Mais ce n’est qu’une compréhension intellectuelle. Une connaissance pour en discuter. De la philosophie. On a l’impression d’être un Bouddha, mais c’est faux. Ça n’est pas encore le vrai satori.
8 – Engaku, le satori dogmatique
Ensuite vient l’état de engaku. Cet état ressemble à l’état de shomon. Il apparaît lorsque l’on a continué zazen très longtemps, sans maître, sans étude, en pratiquant solitaire. Une pratique dogmatique. La posture devient rigide. Le pratiquant n’accepte pas les corrections. Il pense : « Je suis un Bouddha parfait ! » L’esprit devient dur, sans compassion. Et ainsi, on ne peut plus progresser pour suivre la voie. Il y a arrêt.
9 – Bodhisattva, le Bouddha vivant
Ensuite vers l’état de bodhisattva : bosatsu. C’est l’état excellent, correct, selon le bouddhisme mahayana. La posture est belle. L’esprit, celui d’un Bouddha ayant compris la vacuité. C’est en quelque sorte un Bouddha vivant.
Maître Deshimaru dit :
Les statues de Bouddha ne sont pas décorées. Elles ne portent pas de bijoux. Par contre, celles des bodhisattvas en portent.
Le bodhisattva ne cherche pas le satori pour lui-même, mais pour les êtres, pour les autres. Il a la compréhension de tous les êtres. Il n’est pas enfermé dans un temple. Il aime être dans la vie avec tout le monde.
10 – Bouddha
Pour finir, vient l’état de Bouddha.
Cette étape est la plus haute. L’étape finale, le vrai « ku ». La vraie vacuité. Hishyrio, que j’ai décrit dans ce livre. La posture est accomplie. L’esprit atteint la complète illumination, la suprême sagesse. Anutara Samyak San Bodai. Un des noms du Bouddha en japonais est : Hotoke, qui signifie défaire, dénouer, démêler, débrouiller, laisser aller, ouvert, se mettre à nu, devenir rien.
C’est tout simple, c’est le premier livre de Maître Deshimaru. Il aimait bien répéter les degrés. Évidemment, on a tous les degrés en nous, même celui du Bouddha le plus parfait.