Sanran et kontin

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Kusens de Maître Kosen
Sanran et kontin
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Maître Deshimaru nous disait très fréquemment : « Il ne faut pas tomber en sanran ou en kontin ». Sanran, c’est être trop combatif, avoir l’esprit agité, l’esprit qui recherche quelque chose. On cherche le satori, l’éveil, à devenir Bouddha. Kontin, c’est le contraire : on n’a pas de pensées et on a plutôt tendance à dormir. D’un côté, on s’abandonne, on n’a pas de but, pas de désir, mais on n’est pas là, on se laisse aller à la somnolence.

Maître Deshimaru nous disait que ces deux extrêmes, kontin et sanran, étaient la marque d’un zazen erroné. Mais en même temps, Maître Dôgen explique les points positifs de kontin et de sanran.

Sanran

Pour sanran, le côté positif qu’il faut garder, c’est le combat, l’esprit de combat.

Maître Kodo Sawaki disait :

« Ou c’est l’ennemi qui meurt, ou c’est moi ».

Il faut pratiquer zazen comme si c’était une question de vie ou de mort. Ici et maintenant.

Maître Dogen prend pour exemple le mondo entre Hyakujô et son disciple Baso. Baso est un très grand disciple, à la fois par la taille et par la sagesse. Même après avoir reçu la transmission de son maître Hyakujô, il continuait assidûment à pratiquer zazen.

Un jour, son maître arrive derrière lui alors qu’il était en train de faire zazen dehors, tout seul. Il lui demande : « Mais qu’est ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu fais en zazen comme ça, assis bien droit ? Qu’est-ce que tu cherches ? ».

Baso lui répond : « J’essaye de devenir Bouddha ».

Je me souviens, il y avait un jeune disciple japonais qui avait été envoyé par son père à mon maître en France pour qu’il lui donne son enseignement. Le disciple nous avait été présenté au moment du petit déjeuner, après la genmaï, quand on prenait le café avec des tartines. Tout le monde se détendait, on enlevait les kesa, on discutait et Sensei nous présente ce disciple. Il lui demande :

« Alors, pourquoi êtes-vous venu dans ma Sangha ? Pourquoi voulez-vous suivre mon enseignement ? »

Et le disciple répond : « Parce que je veux recevoir la transmission de vous ».

Et là, tous les disciples français ont éclaté de rire : c’était impensable pour nous de pratiquer zazen pour un but, pour recevoir la transmission, pour devenir Bouddha, pour avoir le satori. C’était tellement impensable pour nous que tout le monde s’est mis à rire du pauvre Japonais très sympathique, très capable, très impeccable.

cafe zen
cafe zen

Baso répond : « Moi, je fais zazen pour devenir bouddha ». Il aurait dit ça au petit déjeuner, après le café, tout le monde aurait explosé de rire. Parce que c’est une fois qu’on ne cherche plus à devenir Bouddha qu’éventuellement, on peut le devenir.

Maître Dôgen dit que ce combat de zazen, ce combat que livrait Baso, même après avoir reçu le shiho, la transmission de son maître, à sa vie, à son zazen, en essayant de redresser, d’améliorer sa posture, d’être plus fort, de bien rentrer le menton, est essentiel dans le zazen. Si on n’a jamais pratiqué comme ça, on passe à côté de quelque chose. On passe à côté d’une énergie, d’une motivation infatigables.

Donc même sanran, même si vous avez un but, c’est bien, ce n’est pas grave. C’est bien de se battre, d’avoir cet esprit de se battre avec son corps et son esprit, d’essayer de les faire ressembler à un Bouddha. Simplement, il ne faut pas aller seulement dans ce sens là, pas être toujours en train de se battre, toujours en train de gigoter aussi. Il faut aussi s’oublier un peu.

Kontin

L’autre côté du zazen, c’est kontin.

Il y avait un autre disciple japonais qui vivait au dojo de Paris avec moi, Miyoko, qui est très sympathique. Miyoko était fils de chef de temple. Chef de temple, au Japon, et ça fait bien gagner sa vie. On a un temple à nous, une jolie petite maison en bois, beaucoup d’avantages et on gagne bien sa vie parce que tout le monde est bouddhiste et qu’il y a beaucoup de gens qui demandent des cérémonies, en particulier l’été, à la saison des morts.

Miyoko devait succéder à son père, en gros, dans son business de moine. Mais son père était quand même assez sincère et lui avait dit : « Toi, mon fils, je vais t’envoyer chez Deshimaru pour qu’il fasse ton éducation ». C’est ainsi que Miyoko avait débarqué à Paris.

Il ne s’en cachait pas : le zazen ne l’intéressait absolument pas. Dès qu’il s’asseyait en zazen, il se mettait à dormir. Dans les deux minutes, sa tête tombait et il commençait à dormir, c’était très sympathique.

Maître Sekito, qui était contemporain de Maître Baso s’était construit une petite cabane dans la forêt en bois et faisait zazen sur une pierre. Il est devenu par la suite le successeur du zen Soto.

Maître Sekito dit :

« Il y a un moment un état d’esprit qui est très important dans le zazen on critique toujours quand on dit qu’il ne faut pas dormir, mais vous devez ressentir pendant zazen un abandon semblable au moment où vous posez la tête sur l’oreiller pour faire la sieste après le repas ».

Vous vous allongez sur le dos et rapidement, vous commencez à partir, à lâcher pour faire la sieste. En zazen, c’est le contraire de sanran, c’est le bon côté de kontin.

L’idéal, c’est malgré tout de garder les yeux ouverts. Pas écarquillés, mais ouvert, mi-clos. On doit continuer à percevoir le monde environnant. Quand on ferme les yeux, on a trop tendance à s’enfermer dans sa bulle.

Évidemment, si on ferme les yeux, on a facilement tendance à s’endormir. Il faut garder les yeux entrouverts, mais notre perception doit passer au travers des objets. En particulier au travers de notre corps, car le premier objet, c’est notre corps. Garder les yeux ouverts et ne pas toucher aux objets, passer à travers, laisser rentrer la lumière dans les objets. C’est une question très importante de conscience.