Pratique du zen et soupe de champignons

pratique du zen et soupe de champignons
Kusens de Maître Kosen
Pratique du zen et soupe de champignons
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« Ton questionnement lui-même, c’est ton trésor. C’est le Dharma, c’est la transmission. » Voilà ce que Baso répond à Daïjyu. Dôgen, lui aussi, avait vécu le même genre de mésaventure quand il alla en Chine.

À cette époque, tous les moines japonais vont en Chine. Ils pensent que le vrai Dharma est chinois et non japonais. De même que nous, on peut penser que le vrai Dharma est japonais et non français, beurk ! Ou européen ou américain.

Maître Dôgen parcourt toute la Chine, il pratique dans tous les grands temples connus, puis il s’apprête à rentrer au Japon, plus ou moins déçu par son voyage. Alors qu’il attend son bateau pour repartir au Japon, il aperçoit un vieux moine, en plein soleil, en train de faire sécher des champignons.

Il s’approche du moine et lui dit :

— Dites donc, vous êtes bien âgé ?

— Oui, répond le moine.

— Ça doit être fatigant de rester au soleil à faire sécher ses champignons. Pourquoi faites-vous ça ? Dans le fond, vous êtes un grand moine, un vieux moine. Pourquoi ne faites-vous pas plutôt tranquillement zazen et ne laissez pas d’autres personnes faire la cuisine ?

— Ah, mais, dit le vieux moine, ils ne savent pas.

— Comment ça, ils ne savent pas ?

— Ils ne savent pas faire la cuisine. Moi, mes champignons, je sais les cuisiner. Je suis le seul à savoir les cuisiner comme ça.

— Vous êtes le seul ?

— Je suis tellement le seul que si je n’étais pas là, jamais ils ne pourraient manger de tels champignons.

Puis le vieux moine regarde Dôgen en souriant, sans rien dire. Puis, tout d’un coup, il déclare :

— Beau jeune moine, vous ne comprenez pas vraiment ce qu’est la lettre. Vous ne comprenez pas vraiment. Vous cherchez la voie, où trouver la voie.

Il ajoute :

— Dans la vie quotidienne. Moi, je sais que je fais la meilleure soupe aux champignons de toute la région. Et je sais que si je ne la fais pas, ça ne sera pas moi qui la ferai, ça sera un autre moine. Et elle ne sera pas si bonne. J’ai envie de la faire. J’ai envie. Ce n’est pas un travail pour moi. Dans mon temple, on appelle ça samu parce qu’on a envie de le faire. Et vous, vous ne connaissez pas la vraie signification des lettres et des mots. En réalité, les lettres et les mots ont beaucoup de pouvoir, mais il ne s’agit pas des mêmes lettres et des mêmes mots que ceux que vous croyez.

ascension 2016 1

Puis, sur ces entrefaites, le vieux moine continue à se concentrer sur ses champignons, et Dôgen reste là, interloqué par ce vieil homme. Puis, finalement, il lui pose une question et laisse tomber le masque :

— S’il vous plaît, Ancien, comment fait-on pour pratiquer la voie ? Qu’est-ce que ça veut dire, pratiquer la voie ?

Et le vieux moine lui répond :

— Votre réponse, votre question elle-même signifient pratiquer la voie. Signifient comprendre la lettre et le mot. Signifient la pratique et la voie. En pratiquant votre questionnement même, vous devenez authentique. Vous devenez une personne de la voie.

En réalité, l’enseignement zen est la vraie transmission. Elle est particulière parce qu’elle n’appartient pas aux écritures et à la lettre. Ce n’est pas une compréhension comme on pourrait croire dans les livres, comme la Bible, tout ça.

Ils comprennent aussi que la parole est puissante. Et la transmission du zen est silencieuse. Elle est unique, unifiée. C’est comme une fractale unifiée dont on fait partie, autant que le reste. Et c’est cette unité, ce contact, ce sourire.

Plus tard, Maître Dôgen écrit avec des lettres et des mots un poème. Je vous le lis. J’essaie de vous le lire. J’aime bien ça, parler pendant zazen.

Réveillé ou endormi dans ma hutte fabriquée avec de grandes herbes, je prie.
Quand je rafistole ma cabane, je prie.
Quand je fais pousser quelque chose dans le potager, je prie.
Et cette prière, vous savez ce que c’est ?
C’est de faire passer les autres avant moi.
Abandonner le dernier restant de moi-même, comme pendant sampaï.
Bien que mon ego ignorant ne devienne jamais un Bouddha, je le sais et je m’en fous.
Je n’attends rien du zazen, je n’attends rien du samu.
Pourquoi je le pratique ? Parce que j’aime ça.
Bien que mon moi ignorant ne devienne jamais un Bouddha, je fais malgré tout le vœu d’amener tous les autres au travers du Dharma, dans cette fractale, dans cette unité.

Parce que je suis un moine, j’ai de la chance. J’ai de la chance parce que je peux étudier les vieilles paroles des sept Bouddhas du passé. Je peux dépasser même les six royaumes de la transmigration.

Au printemps, les cerisiers sont en fleurs.
Au début de l’été, on entend les coucous.
En automne, on admire la lune.
En hiver, la neige claire et froide.

Ça, c’est un poème de Dôgen quand il est éveillé, quand il rentre au Japon après avoir rencontré ce vieux moine tenzo.

Les postures sont bonnes comme la genmaï, et tout le monde reçoit cette influence. Je ne pratique pas pour moi, je pratique pour les autres. Que les autres passent avant moi. C’est ça l’esprit du zazen. C’est pour ça qu’on le pratique dans le dojo, ensemble. C’est magnifique.

Mais à titre individuel, pour chercher quelque chose, pour être un saint ou pour être quelque chose, ça ne vaut pas la peine.