Published: 05/11/2014 | Updated: 21/11/2024
Maître Kosen : Alors, nous inaugurons aujourd’hui cette nouvelle forme de rencontre, une sorte de mondo-conférence. Habituellement, dans le mondo, les questions sont spontanées, mais cette fois, j’ai demandé aux participants de réfléchir et de préparer une question à l’avance.
Question : Peut-on devenir accro au zazen ?
Maître Kosen : Ah, c’est une question classique, que j’ai déjà entendue à plusieurs reprises, et même posée à mon maître, Maître Deshimaru. Il avait répondu : “Tant mieux si vous êtes accro au zazen !” Mais il faut bien comprendre une chose : le zazen n’est pas une pratique qui enchaîne à une illusion ou qui abaisse.
Être “accro” signifie généralement être attaché à quelque chose qui nous limite ou nous nuit. Au contraire, le zazen libère. Il corrige la posture, la respiration, et l’attitude mentale. Il remet notre esprit dans un état d’équilibre naturel. Si l’on devient “accro” au zazen, c’est simplement parce qu’on reconnaît son importance dans notre cheminement intérieur.
Même après 30 ou 40 ans de pratique, on continue à se dérégler en tant qu’êtres humains. Moi, par exemple, il m’est arrivé de ne pas pouvoir pratiquer pendant une semaine à cause de soucis de santé. Dès que j’ai pu m’asseoir à nouveau, tout a changé : ma relation avec les autres, avec le cosmos, avec moi-même s’est rééquilibrée.
Dans les sutras, il est dit que ceux qui pratiquent le zazen maintiennent le monde. C’est une réalité interdépendante. Je ne sais pas ce qui se passerait si j’arrêtais complètement, mais je pense que le zazen nous maintient en harmonie avec l’univers.
Question : Mais la dépendance en général, comment la gérer ?
Maître Kosen : La dépendance fait partie de notre existence. Nous sommes tous dépendants de quelque chose, que ce soit affectivement ou physiquement. Même un moine, après avoir rasé sa tête, mis le kesa, et abandonné l’ego des millions de fois, reste attaché à des relations ou à des habitudes.
Le zazen, cependant, est une dépendance différente. Il ne nous détruit pas, il nous élève. C’est un rituel qui nous réharmonise, comme une horloge bien réglée. Après une séance, même si parfois cela semble difficile, on ressent souvent un alignement profond, une meilleure compréhension de soi et du monde.
Question : Peut-on vraiment pratiquer seul ?
Maître Kosen : Absolument. Mon maître me racontait souvent l’histoire d’un moine, disciple de Kodo Sawaki, qui a été accusé à tort et a fini sa vie en méditant seul dans un jardin public au Japon. Il n’avait ni disciple, ni maître, mais son zazen était d’une profondeur égale à celle de tout autre maître connu.
Faire zazen seul est une pratique qui peut transformer le monde entier. C’est un acte d’interconnexion cosmique. Même seul, notre zazen a un impact bien au-delà de notre personne.
Question : Vous avez évoqué les cérémonies… Quel rôle jouent-elles dans la pratique ?
Maître Kosen : Personnellement, les cérémonies m’ennuient. Mais elles ont leur importance, car elles créent un rythme et une énergie collective. J’ai vécu une expérience marquante lors de la Toussaint : en récitant le Hannya Shingyo devant une tombe oubliée, j’ai ressenti une énergie puissante et une profonde connexion.
Le rituel n’a pas besoin d’être religieux ou formel. Il peut être aussi simple que d’apporter des fleurs à une tombe ou de s’asseoir en zazen chez soi. Ce qui compte, c’est l’intention et l’authenticité.
Question : Donc, en résumé, il vaut mieux être accro au zazen qu’à autre chose ?
Maître Kosen : Oui, et je ne regrette pas d’être accro au zazen. Après plus de 40 ans de pratique, je ressens encore des moments de bouleversement pendant zazen qui me donnent envie d’y retourner. C’est une drogue qui libère au lieu d’enchaîner.
Acceptez vos dépendances, mais choisissez celles qui vous élèvent. Et si vous êtes dépendant du zazen, tant mieux. Good, good !