Published: 03/12/2014 | Updated: 20/11/2024
Question : Se forcer à ralentir un peu sa respiration…
Maître Kosen : La respiration, c’est justement tout le contraire de forcer.
Question : Mais en même temps, il faut en être conscient, non ?
Maître Kosen : Oui, c’est vrai. En général, dans la vie quotidienne, les gens n’ont pas conscience de leur respiration. Quand on s’assoit en zazen, qu’on se calme, on devient conscient de sa respiration. Mais dès qu’on essaie de la contrôler, c’est là que ça se complique. Plus on veut contrôler sa respiration, moins on y parvient.
La clé, c’est d’accompagner. Accompagner le naturel, c’est-à-dire suivre la manière dont la respiration veut se faire d’elle-même.
Dans le zen, on se concentre d’abord sur l’expiration. Contrairement à ce qu’on enseigne souvent dans les techniques de relaxation, ici, l’expiration doit être plus longue et plus fine que l’inspiration. Elle doit durer davantage, mais sans forcer.
Si vous expirez bruyamment, par exemple en faisant “Ooooh”, cela aide à prolonger naturellement l’expiration. C’est une respiration abdominale : elle est longue, profonde et détendue. À la fin de l’expiration, on laisse l’inspiration venir automatiquement, sans intervention volontaire.
Quand vous approfondissez cette pratique, vous réalisez que pour allonger l’expiration, il faut lâcher prise davantage pendant l’inspiration. Cela crée une respiration plus fluide et naturelle. Il y a une complémentarité entre les muscles profonds et superficiels, tout comme entre le cerveau profond et le cerveau superficiel.
La respiration devient un mouvement naturel dans lequel on s’abandonne. Cela prend du temps, mais il arrive des moments en zazen où tout s’aligne, et on ressent ce “Ah, ça y est”.
Mon maître disait toujours : « Concentrez-vous sur l’expiration, laissez les intestins descendre, et la région abdominale sous le nombril s’expandre naturellement. » Il comparait cela au souffle profond des vaches, un “Ohhhh” paisible. D’ailleurs, c’est peut-être pour cela que la vache est sacrée en Inde : elle incarne cette respiration zen.
Suivre l’ordre cosmique
Question : Que signifie « suivre l’ordre cosmique » ?
Maître Kosen : C’est un peu comme la respiration, en fait.
Dans notre vie, chaque action laisse une trace, une influence qui finit par se manifester. C’est ce qu’on appelle le karma ou le samsara. Ces influences peuvent être positives, neutres ou négatives.
Quand on fait zazen, on efface ces traces, on lâche les racines. Mon maître parlait souvent de « graines ». Chaque action, bonne ou mauvaise, sème une graine. Si on la laisse pousser, elle prend racine et peut devenir profondément enracinée, parfois même envahissante.
Dans le bouddhisme, on ne dit pas simplement « Faites le bien, évitez le mal », car même le bien peut devenir un obstacle. Parfois, ce qui semble mauvais peut se transformer en une expérience bénéfique.
Le zazen est une pratique unique parce qu’il transcende tout cela. C’est une non-action, une non-pensée, un non-karma. Les pensées apparaissent naturellement, mais elles se libèrent. Elles remontent à la surface, puis se dissolvent.
Parfois, on s’assoit avec des préoccupations, et à la fin du zazen, ces préoccupations n’ont plus d’importance. Zazen les déracine. Mais ce travail n’est jamais totalement fini : il y a toujours de nouvelles graines.
Quand on est vide, on suit l’ordre cosmique naturellement. Mais à notre petite échelle humaine, on se décale souvent de cet ordre, à cause de l’ego, des désirs ou de l’orgueil.
Par exemple, regardez un arbre : il ne pousse pas par orgueil. Le soleil ne rivalise pas avec la lune. Mais nous, avec notre cerveau, nous avons cette dualité constante, entre organisation excessive et abandon total.
La meilleure façon de suivre l’ordre cosmique, c’est de « ne rien faire » — ne pas interférer inutilement, juste s’aligner. C’est pourquoi Bouddha disait : « Ne cherchez pas à faire le bien, ne faites rien. » Cela ne signifie pas l’inaction totale, mais plutôt un réajustement, une réinitialisation, comme un ordinateur qu’on redémarre pour nettoyer ses bugs.
Pratiquer seul chez soi
Question : Si on pratique seul chez soi, avez-vous des conseils ou des erreurs à éviter ?
Maître Kosen : Trouvez un endroit calme, bien ventilé, où vous ne serez pas dérangé. Pas besoin de vous exhiber devant votre famille, soyez discret. Vous n’avez pas besoin de porter un rakusu ou un kesa si vous êtes seul, à moins que vous en ayez envie.
L’avantage de pratiquer seul, c’est qu’il n’y a pas de distractions : pas de maître qui parle, pas de kyosaku. Vous êtes simplement avec vous-même.
Cependant, l’inconvénient, c’est qu’il est difficile de corriger sa posture. Beaucoup de gens finissent par fossiliser leurs mauvaises habitudes posturales.
Au dojo, il y a une dynamique collective : l’attention portée aux autres, la concentration que l’on ressent en groupe, et la possibilité de se faire corriger par un enseignant ou un responsable.
Si vous pratiquez chez vous, essayez d’intégrer quelques rituels pour donner du sens à votre espace. Cela peut être un tapis dédié ou une posture soignée. Personnellement, je m’assois parfois en pyjama sur un tapis au pied de mon lit.
Mais si vous le pouvez, allez au dojo de temps en temps. Cela permet de poser des questions, d’échanger avec d’autres pratiquants, et de recevoir des ajustements.
Maître Kosen : Merci pour vos questions. Continuez à pratiquer, que ce soit seul ou au dojo, et laissez zazen faire son œuvre.