Published: 17/01/2021 | Updated: 27/06/2024
C’est quand on accepte sa solitude, quand on accepte d’être seul, qu’on découvre que l’on est relié à l’universel, avec tout le monde, avec toute chose.
Moi, qui suis un amoureux du zazen depuis que je l’ai rencontré à 19 ans, on peut dire qu’une partie importante de ma vie est vue à partir du zazen, perçue à partir du zazen.
Zazen d’urgence
Parfois, on croise le zazen d’urgence, un zazen où on ne rigole pas. Sensei nous l’a enseigné en nous racontant l’histoire de sa jeunesse pendant la dernière guerre, où il voguait vers l’Indonésie sur un paquebot japonais.
Ils étaient attaqués par les Américains, et tous les bateaux de la flotte dans laquelle il se trouvait coulaient un par un, touchés par l’artillerie américaine. Tout le monde devenait fou sur son bateau, certains sautaient même par-dessus bord, préférant se noyer plutôt que d’attendre l’explosion.
Et là, Sensei s’est assis en zazen sur le pont du bateau. Il a pratiqué le zazen d’urgence. Il avait envie de se lever, de s’enfuir en courant, d’aller n’importe où. Mais il savait qu’il ne fallait pas qu’il bouge.
C’est une partie importante de l’enseignement qu’il a transmis à ses disciples : ce zazen où l’on est complètement à l’intérieur de soi-même, complètement intègre, intégré, seul face à sa solitude.
Il est difficile de pouvoir aller vers la solitude. On a envie de connaître, de témoigner, d’échanger, d’être protégé, d’être dépendant, d’être reconnu. C’est la démarche de suivre, de fuir ou de poursuivre. On fuit ou on court après, toujours. Mais on n’est jamais seul, on n’est jamais face au calme de la solitude, au calme de l’éternité.
Finalement, le bateau de Maître Deshimaru a explosé, et il s’est retrouvé dans l’eau avec son sac, contenant les notes et le rakusu de Kodo Sawaki. Heureusement, il y avait un morceau de bois flottant, et il a pu être secouru.
Bagarre entre Deshimaru et un disciple
Zazen, ce n’est pas seulement venir au dojo pour voir un groupe, pour voir des copains ou pour améliorer sa santé. C’est l’expression fondamentale de nous-mêmes. Comme je disais au camp d’été : ou l’ennemi meurt, ou je meurs. C’est comme un instinct de survie. Et quand ça panique un peu trop, c’est bien de pouvoir s’asseoir en zazen.
Je me souviens, une fois, Maître Deshimaru s’est confronté à un de ses disciples de l’époque. C’était un jeune homme de plus de deux mètres, très costaud. Je le connaissais déjà, puisqu’on était à l’école ensemble. C’était un ami à moi. Et puis, il y avait Maître Deshimaru, qui était mon maître, et tous les deux se sont affrontés. C’était une histoire zen foudroyante et j’ai tout de suite senti qu’il fallait que je fasse zazen, là, maintenant !
En fait, c’est Sensei qui m’a fait signe. À un moment donné, Il a pris une cigarette pour l’allumer et je lui ai tendu du feu. Il m’a regardé et a dit :
Occupe-toi de toi-même, occupe-toi de t’illuminer toi-même avec ton briquet.
Cela signifiait : « Regarde-toi toi-même. » Alors, tout de suite, je me suis assis en zazen. Il y a eu toute la scène où le disciple voulait étrangler Sensei. Les gens sont intervenus. Moi, j’ai chanté « Maka Hannya Haramita ! » dans la cuisine et tout s’est arrêté à la seconde.
Zazen, c’est l’ultime lieu où l’on se confronte à sa réalité ou à son illusion, en se regardant soi-même, sans réagir aux phénomènes. C’est très puissant. On vit plusieurs moments de zazen d’urgence dans une vie. Je me souviens de tous.
Masque de protection et zazen
Je ne suis pas d’accord avec le port exagéré du masque. Cependant, je trouve que le fait de devoir se concentrer sur le masque et sur les autres, de ne pas contaminer les autres, de ne pas être contaminé, de se regarder soi-même est une excellente chose.
Tout est binaire, il n’y a pas seulement du bon ou du mauvais. Parfois, il y a des erreurs humaines, mais le phénomène général est toujours bénéfique, comme si l’histoire avait été écrite depuis toujours. Il ne faut pas prendre parti bêtement dans le dualisme. Sensei disait toujours :
Bad becomes good, good becomes bad.
Le bon devient mauvais et le mauvais devient bon. Mais le scénario parfait est écrit depuis toujours, donc il ne faut pas douter, même si on doit s’excuser de nos erreurs, parfois.
C’est bon de s’excuser quand on a fait une erreur. Ne pas attendre que les gens demandent des excuses. C’est bien de remercier. Toutes ces civilités, c’est zen. C’est la pratique de zazen et de kinhin, que de mettre l’autre à l’aise et de lui donner confiance en nous.
Fin de l’affrontement entre Deshimaru et son disciple
Après cette histoire de bagarre avec le disciple, Sensei s’est moqué de moi :
Ah, Stéphane, il avait peur, il est allé faire zazen !
Il savait très bien que ce n’était pas ça, puisqu’on avait vécu le mondo ensemble. Quand la bagarre était finie, c’était génial. Je me souviens de cela, c’était juste avant qu’il parte au Japon, le jour avant qu’il parte au Japon. Et cette scène, personne ne s’y attendait. Le grand disciple disait :
Si tu vois le Bouddha, tue-le !
Et il commençait à étrangler Sensei. Quand j’ai chanté « Maka Hannya », Jacques Espinasse s’est jeté sur le bonhomme pour le faire lâcher prise. Ensuite, je me suis levé et j’ai embrassé mon ami parce que je savais que c’était un karma difficile pour lui, d’avoir attaqué Sensei. Entre-temps, Sensei a pris son kyosaku, l’a fait mettre à genoux, et lui a tapé sur les épaules, il lui a donné un rensaku.
Quand je me suis levé, j’ai pris mon ami dans les bras parce que je savais que ce qu’il avait exprimé n’était pas personnel, c’était universel : la révolte contre le père, contre le Bouddha. Je le prends dans mes bras, il me dit :
Ne touche pas trop, ça colle.
Alors Sensei se marrait en disant :
Ah, Stéphane, il était en zazen, il avait peur !
C’était plus que de la peur, c’était autre chose. Il nous avait fait passer dans une autre dimension. On était complètement en trip, pendant au moins une semaine.
Zazen, c’est le lieu important où revenir en cas d’urgence, en espérant ne pas tomber dans les pommes et pouvoir prendre une posture forte.
Il y a une phrase qui dit :
Si vous faites zazen dans le feu, vous ne disparaîtrez jamais.
Annonces relatives à la pandémie de COVID
Pour les gens ici, je vous annonce deux choses.
Premièrement, la sesshin du Sud aura bien lieu, car nous sommes allés voir le maire et il a dit qu’il n’y avait aucun problème.
Deuxièmement, le dojo sera fermé à partir de lundi en raison de la décision du ministre de la Santé de placer Montpellier en zone pourpre. Nous devons suivre la loi, donc le dojo sera fermé, en principe pour quinze jours.
Vous pouvez continuer à faire zazen seul, surtout si vous êtes dans l’urgence. Ou zazen en ligne, si ça vous intéresse. Je trouve que c’est aussi bien d’expérimenter de maintenir la pratique seul, sans avoir besoin de se relier à un groupe, comme Deshimaru sur son bateau.
Maintenir une régularité n’est pas si facile chez soi. On a beaucoup de liberté, on peut être dérangé par le téléphone, par ceci, par cela.