
Question : Parfois, je vais dans les montagnes, il y a du vent, les arbres, etc. Et j’aimerais que vous nous disiez comment, dans la vie quotidienne, on peut adapter notre respiration. Par exemple, dans l’expiration, il y a peut-être une certaine tension, puis à l’inspiration, ça se fait naturellement. Comment peut-on l’adapter à la vie quotidienne ?
Réponse : Pour les cérémonies, j’ai expliqué que le monde ordinaire est de l’autre côté de la poutre, dehors, et que quand on rentre dans le dojo, le zazen est une cérémonie. J’ai expliqué que la cérémonie, en fait, c’était une forme de schizophrénie, comme chez les chamanes. C’est une schizophrénie maintenue dans un contexte où il y a des règles et un cadre précis. Sans cela, on est fou. Si tu vas dehors, sur le trottoir, et que tu commences à brûler des bougies, allumer de l’encens et réciter des soutras, tu passes pour fou.
Dans la vie quotidienne, il y a un conseil que j’ai reçu de mon maître et d’un autre maître en médecine chinoise qui m’a enseigné le Qi Gong. C’était un grand maître de la médecine chinoise, héritier de textes traditionnels disparus en Chine lors de la révolution culturelle, et qui connaissait aussi le zazen en tant qu’exercice de santé. Il nous a dit que lorsque l’on sort du zazen, il faut couper avec le monde spirituel et être naturel. Il ne faut surtout pas essayer de maintenir l’état de conscience du zazen dans la vie quotidienne, car c’est dangereux.
Quand j’étais jeune, tout le monde était choqué parce qu’à la sortie du dojo, tout le monde blaguait, riait. Mon maître fumait une cigarette et certains disaient : « Mais enfin, vous fumez ? » Donc, ce n’est pas la vie quotidienne. Cela dit, dans le dojo, on peut amener un petit zeste d’humanité, comme dans le yin et le yang, un point noir dans le blanc et un point blanc dans le noir. Un sourire, un peu de recul, mais sans en faire trop.
Et dans la vie quotidienne, un zeste de spiritualité et de conscience du zazen peut rester, mais sans plus. On peut instaurer une dimension spirituelle n’importe où, mais discrètement. Par exemple, au bureau, si le patron t’appelle et que tu es angoissé, tu peux faire une ou deux respirations avant d’entrer.
Dans la nature, on peut pratiquer d’autres formes de méditation. Moi, je fais une méditation en marchant, avec le souffle. C’est avec cette pratique que j’ai découvert l’interdépendance entre le souffle interne et le souffle externe, et que j’ai perçu un effet sur le vent.
J’avais lu la vie de Maître Philippe, un grand guérisseur du siècle dernier à Lyon. Les gens venaient le voir, il leur disait deux mots et ils étaient guéris. Un homme malade lui disait : « J’ai un cancer, je vais mourir. » Il lui répondait : « Tu as un problème avec ton voisin ? » « Oui, il veut me prendre un bout de terrain et je refuse. » « Donne-lui un bout de terrain et tu seras guéri. » Et boum, la guérison avait lieu.
Maître Philippe fumait la pipe. Même en pleine tempête, il allumait sa pipe et soudain, le vent ne bougeait plus autour de lui. Avec la marche méditative, j’ai découvert cette interdépendance entre le souffle et le vent.
Il y a deux choses essentielles : avoir une vue d’ensemble, comme en zazen, et observer tous les mouvements de la nature sans chercher à tout voir individuellement. Avec le souffle, on peut vraiment percevoir cette connexion. J’ai pu le montrer à certains, leur faire voir comment le vent et mon souffle ne faisaient plus qu’un.
Il est important de capter l’énergie du souffle. La Terre est un être vivant. Nous en faisons partie, comme les cellules et bactéries font partie de notre corps.
Lors de la prosternation en sampaï, se connecter au centre de la Terre a une signification plus profonde que se prosterner devant une statue. Nous nous alignons avec le centre gravitationnel de la Terre, l’essence même de la matière, ce que les scientifiques appellent le boson de Higgs. Avant, on croyait que l’atome était la plus petite unité, mais on a découvert qu’il était lui-même composé d’éléments encore plus petits. La matière est divisible à l’infini.
Certains disent : « Je suis spirituel, la matière ne m’intéresse pas. » Mais en faisant sampaï, on se connecte à l’essence même de notre existence physique. Nos pieds vont vers le centre de la Terre, et notre tête vers l’infini. En posant la tête au sol, on s’aligne avec cette essence et cela nous recentre.
En même temps, on fait un avec la Terre. Nous sommes tous nés de la Terre. Je ressens cette connexion profondément. J’envoie de l’amour à la Terre et je suis en harmonie avec elle. Si un jour il y a un éboulement de pierres, peut-être que je n’en prendrai pas une sur la tête. Ce n’est pas sûr, mais c’est important.
La Terre réagit. Parfois, un tremblement de terre a lieu, mais juste à côté.
Il est essentiel d’avoir ce lien avec la nature, même si on ne vit pas en pleine nature. Ce ressenti est récent.
Dans les années 50, j’ai vécu chez des paysans français. Ils avaient le sens pratique, ils étaient forts, mais il y avait peu de lumière dans leur conscience. Quand ils faisaient les vendanges, ils ne voyaient pas la petite goutte de rosée sur le raisin. Ils pensaient uniquement à ne pas faire tomber un grain, car ça coûtait cher. Il n’y avait pas cet éveil.
Aujourd’hui, la nature est dominée par l’homme et se trouve en danger. Mais l’homme peut recréer une nature équilibrée, en harmonie avec lui, qui ne soit pas hostile comme une jungle ou un désert. Il peut aider la nature à évoluer avec intelligence.
De même, nous pouvons aider les animaux à s’élever vers notre conscience. Parfois, un animal nous surprend, nous comprenons qu’il perçoit plus qu’on ne le croit.