Published: 24/11/2012 | Updated: 10/11/2024
Dans ce que les gens appellent méditation, ils s’assoient par terre dans une position plus ou moins correcte, souvent légèrement voûtés. Puis, ils essaient d’imaginer qu’ils se trouvent dans une clairière magnifique, ou dans un endroit où ils se sentent bien, entourés de sentiments d’amour. Ils cherchent ainsi à créer une conscience artificielle, en se concentrant sur des idées de beauté et d’amour.
Dans le zen, au contraire, on fait le chemin inverse. Dans la réalité que nous vivons, à travers notre corps et notre conscience, nous avons déjà tout à disposition. Au lieu d’ajouter des couches de pensées, on va les abandonner. On laisse tomber ces différentes couches de conscience comme des feuilles mortes, sans les entretenir, sans s’identifier à ce que nous croyons être notre personnalité.
On arrive avec sa personnalité, ses caractéristiques, ses problèmes, ses soucis, ses “plus” et ses “moins”. Dans le zen, on s’assoit et on oublie tout cela, on cesse de toucher à cette personnalité. Lorsque l’on cesse de la considérer, on s’aperçoit qu’elle cesse de réagir. Quand on ne l’entretient plus, elle finit par disparaître, tout comme une pensée que l’on cesse de penser disparaît, comme si elle n’avait jamais existé.
Cette disparition progressive des couches successives de notre ego, que nous avons construites tout au long de notre vie, laisse apparaître un élan vital, une lumière intérieure que l’on appelle dans le bouddhisme notre “vraie nature” ou “nature de Bouddha”.
Mon maître répétait toujours que l’ego est sans noumène. En philosophie, le noumène désigne la possibilité de définir ou de saisir quelque chose : quelque chose que l’on peut toucher, voir, comprendre. Mais chacun pense que son ego est tangible : je suis ainsi, j’ai vécu cela, j’ai telle personnalité, je suis un homme, je suis une femme. Pourtant, lorsqu’on pratique zazen et que l’on cesse de prêter attention à son ego, on découvre que ce “moi” disparaît, et que nos caractéristiques égotiques sont multiples, infinies, sans attache.
Les maîtres zen, comme mon propre maître, qui ont longuement pratiqué, ont compris que leur ego est sans substance et ne s’y attachent donc pas. Leur façon de ressentir et de réagir aux choses est différente de celle des autres.
Je me souviens que lorsque mon maître zen commençait à se mettre en colère, il ne fallait surtout pas lui résister ou argumenter avec lui. Sa colère pouvait être si intense qu’on avait l’impression qu’il pouvait détruire le monde entier s’il le voulait. Il semblait habité par une colère absolue. Mais il suffisait d’un mot sympathique ou amusant, prononcé au bon moment, pour le faire basculer en un instant, et il se mettait à rire.
Cela peut être difficile à expliquer, mais c’est véritablement un état de “sans ego”. Les maîtres zen ne montrent pas d’âge ou d’attitude fixes ; ils peuvent parfois se comporter comme des enfants, avec une grande spontanéité. Mon maître répétait sans cesse : L’ego est sans substance. Ne vous attachez pas à votre personnalité, car elle est sans consistance. Si vous cessez de l’entretenir, elle disparaîtra d’elle-même. L’ego est donc libre et se manifeste simplement en fonction des circonstances.
J’ai mentionné des couches successives qui se détachent si l’on ne leur prête pas attention. Mais à la fin, il reste une conscience pure. Cette conscience pure est ce que l’on appelle le noumène, c’est-à-dire que l’on ressent que cette conscience pure est éternelle, qu’elle n’est jamais apparue et qu’elle ne disparaîtra jamais. Cette conscience pure, ce noumène, n’a pas d’ego.