Mondo septembre 2024

La solitude et l’universel(6)
Mondo - questions à un maître zen
Mondo septembre 2024
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Question : Comment concilier mushotoku et une vie sociale et professionnelle où il faut obtenir sans arrêt plein de choses ?
Réponse :  Il n’y a pas d’opposition en réalité, puisque l’univers est infini, donc il inclut aussi le profit, le business.

Mais on peut faire du business, on peut gagner de l’argent, on peut faire des tas de choses en gardant l’esprit pur. Et on peut aussi faire des choses pures en ayant l’esprit de profit.

Question : Est-ce que ne rien obtenir, c’est la même chose que ne pas s’attacher ?
Réponse : Non, même pas. Parce que « ne pas s’attacher », il y a « ne pas », et ça devient déjà un dogme dès le début : « Ne pas s’attacher ». En réalité, il n’y a rien qui s’attache ni qui se détache.

Maître Deshimaru disait simplement : « Laisse aller ton esprit, laisse faire l’ordre cosmique, ne participe pas, ne t’investis pas. Fais confiance. » Et en fait, moi, je le ressens beaucoup, depuis que je suis un peu malade. Je fais zazen le plus souvent tout seul, et on sent différemment les choses. Mais effectivement, j’ai ma vie avec ces phénomènes, dans laquelle on est plongé comme tout le monde. Et tout d’un coup, j’ai une force en moi qui veut exploser la porte de mon dojo et aller faire zazen immédiatement. Alors j’y vais, je m’assois, je fais zazen tranquillement. Parfois une jambe, parfois deux jambes, parfois long, parfois court. Et puis quand je ressors, tout a changé.

Parfois, tout a changé en pire. Mais le pire, il est meilleur. Il est meilleur parce qu’il a évolué. Les choses évoluent, et vraiment, le zazen fait évoluer. Et je le ressens vraiment.

Alors, je suis tombé sur ces phrases, je les ai mal lues parce que je suis un peu fatigué. Je suis tombé sur cette phrase du Shinjinmei. Je l’ai trouvée tellement belle et tellement complète. J’aurais voulu qu’on fasse une affiche avec.

Dans le zen, on n’utilise même pas son esprit. On ne cherche pas le cœur, on ne cherche pas quelque chose de spécial.

C’est la plus noble vérité. C’est la vérité qui ne fait de compromis avec personne. C’est la plus belle. Le zazen, c’est magnifique. Il a fallu que j’attende… Je ne sais pas. J’ai commencé à 19 ans. J’en ai 44. Ah non, 74 ans. Ça fait long. Et là, je le comprends parce que je me retrouve comme un con. Après je ne sais pas combien d’années de pratique, je me retrouve comme un benêt. C’est comme si on disait à l’infirmière qui t’a mis au monde : Elle a regardé ta tête, elle l’a trouvée grosse. Elle a dit : « Celui-là, ce sera soit un génie, soit un fou, soit un débile. » Et elle avait raison.

Alors ça, ça s’exprime avec le corps. Ce qui est bien, c’est qu’on s’exprime avec son corps. Dans toutes les religions, le corps est impur, on le rejette, on le mortifie. Mais dans le zazen, on utilise le corps. Et comme le kesa, on utilise tous les morceaux de tissu et on essaie de faire quelque chose avec. Alors on essaie, on essaie, on essaie d’empiler les os, on essaie de se tenir correctement, on essaie de respirer correctement, et puis à la fin, on laisse faire.

Question : Pourriez-vous corriger ma posture ?

Réponse : Oui, oui. Je vous ai vu pratiquer, j’ai regardé comment vous pratiquez zazen. Et effectivement, il y a tellement de choses à découvrir, ne serait-ce que dans la posture. C’est pour vous que j’ai dit d’écarter les coudes. Vous m’avez entendu, vous avez réagi tout de suite et j’ai pensé : « Tiens, c’est chouette, il s’intéresse à ça. »

Parce qu’après, il y a la position des mains. Découvrir la position des mains, c’est encore améliorer cet espèce de monstre à chair fraîche, son espèce de corps. Et dans le zazen, on aligne les doigts, les pouces ne doivent faire ni montagne ni vallée. Mettez vos mains pour voir. Voilà, c’est bien. Les pouces doivent être à l’aplomb de la ligne. Comme ça, en contact. C’est très important, la position des mains.

Quand on commence à développer un thème comme les mains, on en a pour dix ans. On regarde les mains de Maître Deshimaru et on se dit : « Qu’est-ce que c’est beau, la posture ! » Mais il a pratiqué 40 ans avant d’avoir des mains aussi belles.

On peut faire de son corps un corps de Bouddha, même si ça fait mal. Mais c’est une douleur assez superficielle. Moi, je suis bourré de rhumatismes. Quand je fais le lotus, ça fait crac-crac. Des fois, je suis là : « Ahhhhhhh. » Il faut traverser des trucs durs.

Mais après, une fois qu’on est installé et que ça ne bouge plus, on n’a absolument pas mal. Et donc on a vaincu son corps. J’apprends beaucoup sur la victoire sur le corps.

Parce qu’il n’y a pas que les moines zen. Il y a les ouvriers, des gens très simples qui pratiquent le zen sans le savoir. Ils n’ont pas la posture, mais ils ont la posture de leur vie. Ce sont des gens qui ne se plaignent jamais. Ils ne disent jamais : « J’ai mal. » Moi, dès que j’ai mal, je dis : « J’ai mal. » En fait, les grands hommes ne disent pas : « J’ai mal. » Ils ne disent rien. Il y a des gens qui ont une force à ne rien dire: « Comment tu vas ? » « Ça va, ça va. » On à toujours quelque chose à apprendre.

Question : Est-ce que la rêverie, c’est faire ?

Réponse : Non, parce que la rêverie, en général, c’est pour se reposer. Donc on essaie de défaire, au contraire, on essaie de se relaxer.  Moi, j’ai souvent des rêves où j’entends un bruit au premier étage, comme si quelqu’un frappait à la porte. Je me lève, je descends, j’arrive à la porte et je me dis : « Mais j’étais en train de rêver. »  Donc là, ce n’est plus de la rêverie, c’est de l’hallucination.

En zazen, Sensei critiquait la rêverie. Il disait : « Il ne faut pas suivre ses pensées. » Parce que facilement, en zazen, on suit ses pensées. C’est comme quand on lit un livre. On lit, mais tout d’un coup, on pense à autre chose. On continue à lire, mais on pense à autre chose. Et puis tout d’un coup, on a passé une page ou deux à rêvasser et on ne lisait pas vraiment. Moi, quand j’étais à l’école, mon premier diplôme, c’était : « Premier prix de rêverie et de camaraderie. »

Question : Est-ce que vous faites une différence entre quand vous êtes assis et la vie quotidienne ?

Réponse : Il n’y a pas de différence. Quand il n’y a pas de différence, le niveau est élevé, aussi bien dans la vie quotidienne que dans le zazen. Ne pas utiliser l’esprit, ça veut dire qu’il n’y a pas de différence. Certaines personnes sont pourvues d’une âme plus évoluée et peuvent très bien ne pas faire zazen.  Il n’y a même pas de profit à se dire : « J’ai fait 40 ans de zazen, et maintenant, je vais aller dans mon cercueil. »

Question : Quand on devient sensible et si on devient plus sensible, comment continue-t-on à pratiquer ?

Réponse : Ça dépend sensible à quoi. Si on est sensible à l’amour, on va pratiquer de mieux en mieux. Si on est sensible à l’odeur d’essence, on va pratiquer de pire en pire.

– C’est pas mal, parce qu’il y aura bientôt plus de pétrole.

– Oui, mais on ira en chercher sur Mars. On est tout proche d’aller sur d’autres planètes et de ramener des minerais et de l’essence, ou des énergies. Peut-être fossiles. L’énergie renouvelable, ce serait la cellule « pluripotente ». La cellule souche. Ces cellules… zygote, c’est-à-dire le modèle de pureté absolue, porteur de toutes les potentialités.

Quand un bébé naît, il faudrait garder le cordon ombilical. Normalement, on devrait le conserver. Chaque famille devrait garder son potentiel génétique et le congeler. Et après on a des cellules pluripotentes, c’est-à-dire qu’on peut faire des choses géniales avec, comme soigner des maladies.

On aurait ainsi de quoi soigner sa famille. Mais dans les hôpitaux, soit ils les jettent, soit ils les gardent, et cela devrait valoir une fortune.

Vous regardez le feuilleton italien. Et ça se passe dans un hôpital, entre un hôpital de haut niveau et… J’arrive pas à me rappeler du nom. J’ai des problèmes avec les noms, ils m’échappent. Pourtant, il y a trois lettres dans le nom. C’est pas « Médical » ? « Médicaux » ? Si je m’en souviens pendant le déjeuner, je vous le dirai. Ça devrait me revenir un peu plus tard.