Mondo du 6 octobre 2012

Mondo - questions à un maître zen
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Mondo du 6 octobre 2012
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Published: 06/10/2012 | Updated: 21/11/2024

Question : J’ai lu dans un livre que, dans le bouddhisme, on renonce au plaisir, à la jouissance et au bonheur. Est-ce vrai ?

Maître Kosen : Ah bon ? Eh bien, ceux qui ne savent pas lire ont parfois de la chance.

Il faut comprendre ce que signifie “renoncer”. Prenez un exemple : vous allez à Carrefour avec un petit budget. Vous passez devant le rayon des appareils photo et là, vous en voyez un qui vous plaît énormément. Mais vous n’avez pas l’argent pour vous l’offrir. Que faites-vous ? Vous êtes obligé de renoncer. Si vous ne renoncez pas, soit vous volez l’appareil – et vous risquez des ennuis – soit vous ressentez une frustration : « Je veux cet appareil, mais je ne peux pas me le permettre. »

Renoncer, dans ce contexte, signifie comprendre que cet appareil photo n’est pas essentiel. Et dans la vie, il y a beaucoup de choses qu’on ne peut pas avoir. Mais si quelqu’un vous offre un bon repas ou si vous avez les moyens de vous payer cet appareil, vous acceptez avec joie.

Le bouddhisme ne cherche pas à renoncer au bonheur, mais à éviter la souffrance. Et où se situe la majorité de nos souffrances ? Dans notre esprit. C’est pour cela que le Bouddha enseigne à lâcher prise : pour souffrir moins.

Question : Et dans ce lâcher-prise, on renonce donc aux plaisirs et à la jouissance ?

Maître Kosen : Quand vous faites zazen, oui, vous renoncez temporairement à tout cela : plaisir, jouissance, bonheur. Mais ce n’est pas une renonciation définitive ou négative. Pendant zazen, vous créez un espace mental où ces choses n’ont pas d’importance. Pourquoi ? Parce qu’au fond, quand vous les avez déjà, vous n’en avez rien à faire.

Prenez l’exemple d’un homme qui possède une Ferrari. Il ne rêve plus d’une petite Peugeot décapotable. Il en va de même pour nous : quand on est connecté à cet espace intérieur, on sait que tout est déjà là.

Après le zazen, vous redevenez “normal”. Vous profitez des plaisirs de la vie, mais sans être dépendant d’eux. Cette liberté intérieure est essentielle.

Question : J’aimerais comprendre la différence entre le mental et l’ego.

Maître Kosen : L’ego, c’est tout ce dont nous avons conscience comme étant “à nous” : notre corps, nos pensées, nos possessions. Le mental, lui, est une partie importante de l’ego. Mais le mental est avant tout un outil.

Imaginez qu’on vous offre une perceuse. Vous êtes ravi : « Super, je vais pouvoir percer des trous ! » Mais une perceuse ne peut pas tout faire, comme planter un clou ou visser une vis. Pour cela, il faut d’autres outils : un marteau, un tournevis.

De la même manière, le mental est un outil. Il analyse, réfléchit, prend des décisions. C’est grâce au mental que l’humanité a évolué, que nous pouvons planifier nos vacances ou résoudre des problèmes complexes. Les animaux, eux, fonctionnent davantage avec leur instinct ou des connexions simples.

Mais attention : tout comme une perceuse ne sert à rien pour planter un clou, le mental ne sert pas à tout. Pendant zazen, par exemple, il n’est pas nécessaire.

Question : Pourquoi le mental est-il inutile pendant zazen ?

Maître Kosen : Le zazen, c’est comme lire le plan d’un projet de construction. Pendant que vous lisez le plan, vous n’avez pas besoin de vos outils. Vous êtes dans une conscience plus large, une vision d’ensemble.

Le problème, c’est que notre société nous habitue à utiliser le mental en permanence, même quand ce n’est pas nécessaire. Depuis l’enfance, on nous pousse à développer notre mental pour être productifs, efficaces, conformes. Mais cela peut nous déconnecter de notre créativité et de notre nature profonde.

Pendant zazen, on apprend à “débrancher” le mental pour accéder à d’autres parties du cerveau, comme le cerveau moyen ou le cerveau reptilien. Ces zones sont liées à notre instinct, notre intuition, et elles nous offrent une perception plus vaste de la réalité.

Question : Et la pensée ?

Maître Kosen : La pensée, c’est un phénomène complexe. Beaucoup de gens pensent que la pensée est uniquement faite de mots, mais ce n’est pas vrai. Une pensée peut être une image, une odeur, un objet. Tout peut être une pensée.

Il y a des gens qui parlent tout seuls, même intérieurement. Leur mental tourne en boucle, et ils passent à côté de ce qui les entoure : la nature, le vent, la lumière.

Prenez un couple qui décide de se promener dans les vignes. S’ils passent tout leur temps à se disputer ou à discuter, ils ne remarquent ni les vignes, ni le coucher du soleil, ni la direction du vent. Ils sont absents, prisonniers de leur mental.

Question : Donc, pendant zazen, on entre dans une autre forme de conscience ?

Maître Kosen : Exactement. Pendant zazen, vous ne vous contentez pas d’arrêter le mental. Vous explorez des espaces encore peu connus de votre cerveau. Le zazen est une technologie qui vous permet de passer du cortex cérébral – siège du mental – au cerveau moyen, puis au cerveau reptilien.

Ces parties du cerveau contiennent un potentiel immense que la plupart des gens ignorent. En explorant ces zones, on découvre des dimensions insoupçonnées de notre conscience.

Et même dans le cortex, qui est déjà très développé, il reste encore des territoires vastes et inexplorés.

Question : Et que dire de la pensée consciente ?

Maître Kosen : La pensée consciente est souvent associée aux mots, mais elle va bien au-delà. Elle peut se manifester sous forme d’images, de sensations, d’objets. Tout peut être une pensée.

Malheureusement, beaucoup de gens s’enferment dans une pensée verbale, qui tourne en boucle dans leur esprit. Cela les coupe de la réalité, de la nature, de leur connexion au cosmos.

En zazen, on apprend à sortir de ce schéma. On devient attentif au monde qui nous entoure, à l’énergie du vent, à l’humidité de l’air, à la lumière. C’est un retour à une conscience directe et intuitive, proche de celle des animaux, mais enrichie par notre humanité.