Published: 14/09/2013 | Updated: 21/11/2024
Question : Zazen est-il une pratique religieuse ?
Maître Kosen : J’ai récemment écouté une conférence donnée par un médecin — dont le nom m’échappe, je n’ai aucune mémoire des noms. Ce médecin expliquait quelque chose de fascinant : avant même de développer un langage articulé, l’homme préhistorique pratiquait déjà des rites religieux. Il n’était encore qu’un « singe un peu amélioré », et pourtant, il exprimait une forme de spiritualité.
Aujourd’hui, quand on parle de religion, on se réfère souvent à des textes : la Bible, le Coran, ou d’autres livres sacrés. On dit : « Ce livre est la vérité. » Mais la religion a existé bien avant l’écriture, avant les mots même.
Mon maître zen, Deshimaru, avait une expression pour cela. Il disait :
« Le zen est la religion qui existait avant la religion. »
Pour lui, le zen, et donc zazen, transcende les mots, les dogmes et les idées. Il évoquait souvent l’importance du cerveau primitif, ce que nous pourrions appeler aujourd’hui notre cerveau préhistorique.
Dans ce sens, oui, zazen peut être considéré comme une pratique religieuse. Mais il faut bien comprendre ce que signifie « religieux ». Étymologiquement, le mot religion vient de « religare », qui signifie « se relier ». Et c’est précisément ce que l’on fait dans zazen : on se relie à l’ordre cosmique, à l’ordre naturel des choses.
Un équilibre entre tradition et modernité
Pour que cette pratique puisse se faire en groupe, des règles ont été préservées. Par exemple, comment entrer dans le dojo, les vêtements à porter… Nous utilisons des éléments traditionnels issus de différentes cultures :
– Le kimono, qui est japonais.
– La robe noire, qui vient de Chine.
– Certains détails, qui remontent à l’Inde.
Ce sont des traces de civilisations anciennes et de leurs influences religieuses.
Au Japon, le zen est profondément intégré à la vie spirituelle : il y a des temples partout, et les gens y font célébrer des cérémonies, notamment pour les défunts. Cet aspect du zen au Japon peut parfois apparaître comme « curé », et cela peut choquer les Occidentaux. Quand nous sommes allés au Japon avec notre maître, nous avons été surpris. Nous nous sommes dit : « Mais ça n’a rien à voir avec une recherche intérieure ou spirituelle, c’est une simple institution. »
Religieux, mais pas seulement
Pour moi, il y a bien un aspect religieux dans le zen. Mais il ne faut pas que cet aspect prenne le dessus. Il faut garder un équilibre.
Si l’on tombe dans un excès de religiosité, on risque de réduire la pratique à un simple rituel figé. Mais, à l’inverse, si on pratique zazen en costard-cravate, sans aucun respect des traditions ou sans évoquer une seule fois le bouddhisme, on peut basculer dans une banalisation commerciale.
J’ai été invité à donner des conférences dans des entreprises. Certaines voulaient récupérer zazen pour améliorer la productivité. Et effectivement, zazen peut rendre plus efficace au travail, car il aide à mieux se concentrer et à être plus présent. Mais cette récupération purement utilitaire dénature la pratique.
Dans la tradition, le travail a toujours été une partie essentielle de la pratique. Non pas comme un moyen de gagner sa vie, mais comme un service. En Chine, par exemple, de nombreux maîtres zen vivaient de manière simple, parfois dans des cabanes en ville. Ils partageaient leur vie quotidienne avec les habitants, jouaient avec les enfants, et ne dépendaient d’aucune institution ou temple.
Zazen incarne un équilibre subtil :
– D’un côté, il a un aspect religieux dans le sens où il relie à quelque chose de plus grand.
– De l’autre, il reste profondément ancré dans la vie quotidienne et peut être pratiqué de manière laïque.
C’est une démarche intemporelle, une pratique qui transcende les dogmes et s’inscrit dans l’essence même de la vie.