Published: 14/05/2022 | Updated: 23/05/2024
Un certain Maître Yakusan a inventé l’expression « Hishiryo », ce qui est intraduisible. « Hi » c’est « absolu », ce qui englobe tout, et « shiryo », c’est la pensée.
Un jour, il est en train de faire zazen, on lui demande : « Qu’est-ce que tu fais là, assis comme une montagne ? À quoi penses-tu ? »
C’est marrant, parce que Maître Deshimaru, quand il est arrivé en Europe, est allé dans un monastère français et il leur a montré le zazen. Et les prêtres et les moines ont eu la même question : « À quoi est-ce que vous pensez quand vous faites zazen ? »
Si on raconte l’histoire d’un saint français qui avait été au Japon et qui avait vu les moines assis, immobile face au mur. Il se disait : « Je ne sais pas ce qu’ils font, ils sont immobiles devant un mur, je ne sais pas du tout à quoi ils pensent. »
Dans la Bible, on dit : « Au commencement était le Verbe ». Le Verbe, l’écriture, la définition de la pensée. Si on dit ou pense : « Je marche », le verbe est prononcé.
C’est à mon avis la différence principale entre le christianisme et le bouddhisme : à travers le zazen, le verbe n’est pas prononcé. Tout est pensée, en fait. Quand on prononce le verbe, on va définir une minuscule parcelle de l’univers. Quand le verbe n’est pas prononcé, alors c’est hishiryo, la pensée absolue, la pensée divine, la pensée qui se pense elle-même.
On dit toujours qu’il y a trois points importants en zazen. Le premier, c’est la posture. Et la posture, c’est une pensée. Plus on est habitué au zazen, plus on a la pensée absolue du zazen. Pour nous, c’est clair, mais on ne pourrait pas la définir avec des mots. On la définit avec nos jambes, nos fesses, notre bassin, notre nuque, notre souffle.
Le deuxième point important, c’est la respiration, l’échange incessant du feu de la vie et de la conscience. Ces trois aspects, évidemment, sont inséparables les uns des autres.
Ce qui est surtout important dans la pensée ou dans la conscience hishiryo c’est qu’elle redéfinit la conscience, la pensée. Elle remet dans le bon ordre, comme si un enfant avait joué et on lui dit : « Range ta chambre ! Ça, ça va là, tes petites voitures, tu les ranges là. »
Quand on fait zazen, on remet en place la conscience, on la réharmonise avec le système cosmique. Alors que dans la vie quotidienne, on va souvent de pensée en pensée, une pensée en entraînant une autre, notre conscience se déforme, elle devient partiale.
Quand on fait zazen, tout revient dans son ordre. La posture du corps, de l’esprit et du souffle s’harmonisent avec l’ordre cosmique. L’ordre cosmique, ce n’est pas rien. C’est notre système solaire, notre galaxie, notre univers. C’est peut-être encore plus que l’univers. Pourquoi, dans le bouddhisme, la pratique de zazen est-elle considérée comme une grande sainteté? Pas seulement pour soi-même.
Le grand secret de la prière, le grand point important de la prière, que ça soit bouddhiste ou chrétien, ou de n’importe quelle religion, et même laïque, c’est aue l’être humain a la connaissance, la vocation innée de la prière. Sa prière est puissante et efficace. Le grand secret de cette prière, c’est de prier pour les autres d’abord.
Évidemment, on considère d’abord ses propres souffrances : « J’ai mal, s’il vous plaît, aidez-moi ! » Mais si on passe outre cette souffrance personnelle et qu’on dit, par exemple : « Aidez les Chinois qui souffrent tellement fort en ce moment, mon cœur est avec eux ! », votre prière, prend toute sa puissance et vous révèle à vous-même. Pour ça, on dit qu’il faut faire zazen pour les autres avant même de le faire pour soi-même.