Bouddha à temps partiel ?

2024 03 15 bouddha temps partiel
Kusens de Maître Kosen
Bouddha à temps partiel ?
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Il y a trois piliers dans la pratique de zazen. Tout d’abord, la posture. Dans le zen, on est très strict sur la posture. La posture c’est l’alignement, c’est s’aligner par rapport au cosmos. Quand on est aligné, on est juste, comme quelqu’un qui tire une flèche : il vise, il doit se positionner, repérer la cible, viser, tirer la corde et lâcher. Zazen, c’est pareil.

C’est pour ça que la posture, c’est comme la posture du tir à l’arc, on se positionne, on tire la corde et après on lâche.

Respiration en zazen

Ensuite, la respiration. La respiration, c’est également un alignement, mais c’est un alignement plus rythmique. Comme dans un orchestre. Il y a par exemple la trompette qui joue une ligne mélodique, qui fait son solo. Mais la batterie marque le rythme, et on s’aligne sur le rythme de la basse et de la batterie. Donc, c’est une autre façon de s’aligner dans l’espace et dans le temps.

Attitude de l’esprit en zazen

Enfin, il y a l’attitude de l’esprit. Elle ne commence pas seulement quand on s’assoit en lotus. L’attitude de l’esprit commence avant notre naissance même. Donc pour nous, dans la pratique, l’attitude de l’esprit, c’est de changer radicalement son point d’assemblage au moment où on passe la porte du dojo.

dojo zen poutre

C’est pour ça qu’on n’amène pas son sac ou son téléphone dans le dojo, par exemple. Et on est censé ne pas amener non plus ses soucis, ses préoccupations, ses buts. C’est très fort. On appelle le dojo la chambre profonde.

Voilà quelle est l’attitude de notre esprit. Elle commence dès l’entrée du dojo. C’est pour ça qu’on a transmis certaines règles. Nous, dans ce dojo européen, on est moins stricts que les dojos traditionnels japonais. Même au Japon, entre les deux grands temples principaux, on dit que la chorégraphie de Sôjiji est supérieure à la chorégraphie de Heiheiji. Ils font des cérémonies d’une grande beauté et d’une extrême précision. Donc, ça passe à travers le corps, à travers une sorte de danse.

Il faut faire attention avec quel pied on rentre dans le dojo. Tout le monde doit entrer avec le pied gauche, sauf le maître, qui doit rentrer avec le pied droit. Normalement, il y a une poutre et on enjambe cette poutre. C’est une frontière à partir de laquelle on doit adopter un état d’esprit nouveau inconnu. Comme il est inconnu, on suit simplement les bonnes manières. Le comportement, la manière dont on se déplace dans le dojo c’est déjà une posture.

On ne parle pas dans le dojo, on ne discute pas entre nous, on ne regarde pas les autres. On est concentré sur la chorégraphie, sur ce qu’on doit danser, chacun doit danser sa partie. Et quand on l’étudie bien, même celle que nous pratiquons nous-mêmes dans ce dojo, c’est une très belle chorégraphie. On tourne autour du zafu, on s’assoit bien au centre. On oublie la dimension de ce qu’on croit être son ego, on la dépasse.

Quand le zazen est fini, qu’on va rentrer chez soi, on passe encore la porte du dojo, on salue, et même-là, on doit couper encore. On ne doit pas rester sur l’état d’esprit de zazen. On ne doit pas rester concentré, en fait, c’est assez surprenant.

Il y a beaucoup de gens qui penseraient : « Ah, ce que j’étais bien en zazen, bonjour, peace, love, » avec les yeux écarquillés. « Attention, ne me parle pas trop fort parce que tu vas interrompre mon état d’esprit de zazen ! » Non, ce n’est pas du tout ça. Le maître doit même casser cet état d’esprit. On doit couper complètement avec le zazen.

Médecine chinoise et zazen

J’avais appris ça aussi par la suite avec un maître de médecine chinoise, qui parlait de la méditation et de qi-gong. Il donnait la même recommandation : quand la séance de qi-gong est finie, quand est finie, on ne doit pas rester dans l’état d’esprit du qi-gong. Le zazen, c’est aussi considéré comme un qi-gong, on l’appelle le qi-gong calme. Le maître de médecine chinoise disait que si on reste trop dans l’état d’esprit du zazen, on peut attraper la maladie du feu du dragon C’est-à-dire qu’on devient fou.

L’état d’esprit commence presque avant la porte du dojo, et finit après la porte. C’est notre grande chance de pouvoir nous réinitialiser, c’est tout. Pas la peine d’être prétentieux : le zazen, c’est simple, c’est la pratique des bouddhas. Les bouddhas pratiquent zazen, mais on est tous des bouddhas. Mais un bouddha qui ne pratique pas zazen, il oublie, comme beaucoup d’entre nous. On oublie des choses qu’on savait, dont on se souvenait, des choses très proches de notre naissance, de quand on était tout petits. On les a oubliés, on ne sait plus bien qui on était, on a oublié. On a trop de soucis, de stress.

Là, c’est la même chose. On oublie qu’on est Bouddha. On ne sait même plus ce que c’est. Et le zazen, c’est aussi réapprendre, redécouvrir sa véritable dimension. Pas seulement redécouvrir sa véritable dimension, mais être guidé, kidnappé par sa véritable dimension, par son véritable soi. Accepter de se laisser guider par lui.