Mondo février 2015

Mondo - questions à un maître zen
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Mondo février 2015
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Published: 20/02/2015 | Updated: 20/11/2024

Question : Qu’apporte la marche en kinhin ?
Maître Kosen : Ce n’est pas toujours une question d’apporter quelque chose. Le kinhin, c’est une expérience similaire à celle du zazen, mais dans le mouvement.

En zazen, on ne bouge pas du tout, ce qui aide beaucoup à se concentrer et à prendre conscience de certaines choses qu’on ne peut pas réaliser dans l’agitation ou en étant occupé. Avec le kinhin, on essaie de retrouver cette profondeur de concentration tout en marchant, selon un protocole établi.

Maître Dôgen disait que cette pratique remonte à l’époque du Bouddha, il y a environ 2 500 ans. C’est donc une tradition très ancienne qui cherche à positionner le corps de manière précise. Dans le zen, tout passe par les postures : ce n’est pas intellectuel ou mental, c’est expérimental.

Le zazen, bien qu’exigeant, est une manière directe de concentrer son attention et son énergie sur la respiration pour atteindre le samadhi, un état qui ressemble un peu au sommeil, mais en pleine vigilance. Le sommeil est vital pour relâcher le corps et le cerveau ; sans lui, la vie devient insoutenable. En kinhin, on apprend à intégrer cet état dans le mouvement, ce qui peut être appliqué à d’autres activités du quotidien.

Question : Est-ce qu’on retrouve des principes du kinhin ailleurs ?
Maître Kosen : Oui, par exemple dans des pratiques comme le tai-chi ou certaines gymnastiques indiennes et chinoises. Ces disciplines travaillent à maintenir la concentration tout en bougeant, en restant centré.

Dans le zen, on insiste beaucoup sur le “centre”, souvent situé sous le nombril, au niveau du kikaï tanden. Ce n’est pas une question de bloquer quoi que ce soit, mais de relâcher les mouvements abdominaux avec la respiration. Ce centre est considéré comme une source de puissance et de concentration. Les arts martiaux japonais et chinois, comme le judo ou le kung-fu, développent aussi cette notion.

Les postures fondamentales dans le zen sont variées. La première est celle du sommeil : traditionnellement, le Bouddha se couchait sur le côté avec un coussin sous le cou pour relâcher les muscles. Il y a aussi la posture de la prosternation, qui relie le cerveau à la terre, comme une prise de terre pour l’électricité. Cela aide à équilibrer le cerveau, souvent focalisé vers l’extérieur.

En zazen, on s’aligne avec la gravité, le centre de la Terre, ce qui permet de puiser une énergie profonde. C’est là l’essence du zen : une connexion physique, bien plus qu’une réflexion philosophique.

Question : Le kinhin est-il difficile à pratiquer ?
Maître Kosen : Comme pour le zazen, il faut du temps pour maîtriser le kinhin. J’ai moi-même mis des années à lâcher prise. Avec mon maître japonais, c’était une méthode très intense : on allait à fond, jusqu’à ce que quelque chose cède. Aujourd’hui, je commence seulement à bien pratiquer le kinhin.

La difficulté réside souvent dans les tensions intérieures, comme les épaules tendues ou le ventre contracté. Il s’agit de relâcher la musculature profonde, ce qui demande une concentration intense et passe par une respiration correcte. Cela peut être comparé à certains exercices modernes de fitness, qui travaillent les muscles profonds plutôt que superficiels.

Question : Le kinhin a-t-il influencé d’autres domaines ?
Maître Kosen : Absolument. Maurice Béjart, le célèbre danseur, était disciple de Maître Deshimaru. Il faisait pratiquer le kinhin à ses danseurs chaque jour. C’est fondamental pour la danse, comme pour les arts martiaux.

Prenez le kendo ou le théâtre nô japonais : la manière de marcher, d’ancrer les pieds au sol, est directement inspirée du kinhin. Dans le kendo, par exemple, les samouraïs s’enracinaient littéralement dans le sol, restant immobiles jusqu’au moment parfait pour agir. Cette maîtrise était telle qu’un adversaire pouvait parfois reconnaître sa défaite sans même combattre.

Question : Comment le zen est-il perçu au Japon ?
Maître Kosen : Curieusement, les jeunes Japonais trouvent parfois étrange qu’un étranger pratique le zen. Pour eux, c’est comme si un Japonais venait en France étudier la fabrication des sabots ! Pourtant, le zen est profondément ancré dans leur culture, dans leur vie quotidienne, même s’ils ne le réalisent pas toujours.

Cet enracinement dans la société japonaise a façonné des qualités uniques dans leur état d’esprit, leur délicatesse, et leur rigueur. Avec le temps, cette pratique s’intègre aussi en Europe et influence nos comportements sociaux, parfois de manière subtile.

Maître Kosen : Voilà, le kinhin, c’est vraiment une pratique essentielle, ancrée dans une longue tradition et pleine de richesse.