Published: 18/01/2014 | Updated: 18/11/2024
Il existe des enseignements fondamentaux du zazen, transmis par les maîtres. Ils semblent simples au premier abord, mais peuvent être approfondis pendant 10, 20, voire 50 ans. Parfois, des aspects demeurent obscurs jusqu’à ce qu’une longue pratique permette de les comprendre pleinement. Parmi ces enseignements, la respiration occupe une place centrale dans le zen.
Le Bouddha lui-même affirmait que la pratique d’“anapanasati”, la conscience de la respiration, était l’aspect le plus subtil et le plus élevé de son enseignement. La posture et l’attention sont essentielles : il s’agit de diriger son intention à environ trois centimètres et demi sous le nombril, dans une zone énergétique appelée Kikai Tanden, ou “océan de l’énergie”. Un célèbre maître japonais, Hakuin, a passé sa vie à enseigner cette pratique. Il vivait en parfaite santé, centré sur cette énergie.
Lorsque Maître Deshimaru est arrivé en France, il nous a transmis cet enseignement, qu’il qualifiait de “respiration secrète”. Normalement réservée à ceux qui atteignent un haut niveau de pratique, il nous l’a enseignée immédiatement, arguant que “le temps presse”. Le cœur de cette respiration est l’expiration. Contrairement à de nombreuses pratiques, comme le yoga, où l’accent est mis sur l’inspiration et la rétention de l’air, le zen enseigne une concentration absolue sur l’expiration. Pendant cette phase, il faut presser doucement la masse abdominale vers le bas, tout en expirant lentement, calmement, imperceptiblement. L’inspiration, quant à elle, se fait naturellement, sans effort.
Maître Deshimaru expliquait que, chez la plupart des gens, l’énergie se déplace de manière déséquilibrée. L’énergie monte vers le haut, gonfle le torse, coince le plexus et rend les émotions vulnérables. En inversant ce mouvement, en dirigeant l’énergie vers le bas, on peut retrouver stabilité et calme. Cette pratique transforme la respiration ordinaire : au lieu de gonfler le ventre à l’inspiration et de le rentrer à l’expiration, on inverse ces mouvements.
Le défi réside dans la souplesse et la mobilité de l’“œuf d’énergie”. Pendant l’expiration, l’énergie descend vers le bas, créant un grand calme et une force profonde. Pendant l’inspiration, elle remonte, libérant les tensions. Cette alternance subtile, comme un massage abdominal, libère l’énergie et permet une compréhension plus profonde de la spécificité du zazen.
Il ne s’agit pas seulement d’un processus physique, mais aussi d’un mouvement d’intention. Cette énergie accumulée dans le hara – l’océan de l’énergie – est le point central où se mêlent les trois sources d’énergie de l’être humain : l’énergie alimentaire, l’énergie respiratoire (ou prana) et l’énergie ancestrale reçue à la naissance. Ces énergies, une fois transformées, nourrissent le corps, la moelle épinière et le cerveau.
Dans les enseignements zen et taoïstes, cette circulation énergétique prend différentes formes selon le genre. Chez les hommes, elle part des testicules, remonte par le kikai tanden, puis le long de la colonne vertébrale jusqu’au cerveau, avant de redescendre dans le cœur et de revenir au hara. Chez les femmes, une dynamique similaire s’effectue à partir des ovaires. Cette circulation complète constitue un équilibre fondamental pour la santé physique, mentale et spirituelle.
Maître Deshimaru insistait sur l’importance de cette maîtrise énergétique pour transcender les pulsions et les conditionnements. Il soulignait que notre société, à cause du karma collectif, de l’éducation ou de fragilités génétiques, a largement perdu cette capacité. Pourtant, avec une pratique assidue, il est possible de retrouver cette puissance intérieure. Lui-même, après des décennies de zazen, affirmait toujours “être en train d’apprendre”.
Cet enseignement qu’il a transmis en 1969, avenue du Maine à Paris, reste une source inépuisable d’inspiration et de transformation. La respiration zen, subtile et exigeante, continue de révéler ses secrets à ceux qui persistent sur la voie.