Il y a trois piliers dans la pratique de zazen. La posture, la respiration et l’attitude de l’esprit.
La posture
Dans le zen Soto, on est très stricts sur la posture. La posture, c’est l’alignement, c’est s’aligner par rapport au cosmos.
Quand on est aligné, on est juste, comme quelqu’un qui tire une flèche. Il vise, il doit se positionner, repérer la cible, viser, tirer la corde et lâcher. Zazen, c’est pareil.
C’est pour ça que la posture, c’est comme la posture du tir à l’arc, on se positionne, on tire la corde et après on lâche.
La respiration
La respiration. C’est également un alignement, mais c’est un alignement plus rythmique.
Comme dans un orchestre, il y a par exemple la trompette qui joue une ligne mélodique, qui fait son solo. Mais la batterie marque le rythme et on s’aligne sur le rythme de la basse et de la batterie. Donc, c’est une autre façon de s’aligner dans l’espace et dans le temps.
L’attitude de l’esprit
L’attitude de l’esprit ne commence pas seulement quand on s’assoit en lotus. L’attitude de l’esprit commence avant notre naissance même.
Donc, pour nous, dans la pratique, l’attitude de l’esprit, c’est changer radicalement son point d’assemblage, au moment où on passe la porte du dojo. C’est quelque chose de très important.
C’est pour ça que, par exemple, on n’amène pas son sac dans le dojo, ou son téléphone. Et on est censés ne pas amener non plus ses soucis, ses préoccupations, ses buts. C’est très fort.
On appelle le dojo, « la chambre profonde ». Et donc, c’est notre attitude de l’esprit. Elle commence dès l’entrée du dojo. C’est pour ça qu’on a transmis certaines règles. Nous, dans ce dojo européen, on est moins stricts que les dojos traditionnels japonais.
Même au Japon, entre les deux grands temples principaux, on dit que la chorégraphie de Sōji-ji est supérieure à la chorégraphie de Eihei-ji. Quand ils font des cérémonies, c’est d’une grande beauté, d’une grande précision. Ça passe à travers le corps, à travers une sorte de danse, en fait.
On passe la porte avec le pied gauche, il faut faire attention avec quel pied on rentre dans le dojo. Tout le monde doit rentrer avec le pied gauche, sauf le maître qui doit rentrer avec le pied droit, il ne faut pas se tromper. Normalement, il y a une poutre et on enjambe cette poutre et c’est une frontière à partir de laquelle on doit adopter un état d’esprit nouveau, inconnu. Comme il est inconnu, on suit simplement les bonnes manières. « Behaviour », en anglais. Comportement. C’est déjà une posture, la manière dont on se déplace dans le dojo.
Et on ne parle pas dans le dojo. On ne discute pas entre nous, on ne regarde pas les autres, on est concentrés sur la chorégraphie, sur ce qu’on doit danser. Chacun doit danser sa partie. Et quand on l’étudie bien, même celle que nous pratiquons nous-mêmes dans ce dojo, c’est une très belle chorégraphie, c’est très spécial. On tourne autour du zafu, on s’assoit bien au centre. On oublie la dimension de ce qu’on croit être son ego. On la dépasse.
Et quand on sort du dojo, quand le zazen est fini, que l’on va rentrer chez soi, on passe encore la porte du dojo, on salue et même là on doit couper encore. On ne doit pas rester sur l’état d’esprit de zazen. On ne doit pas rester concentré, en fait. C’est assez surprenant.
Il y a beaucoup de gens qui penseraient : « Ah, ce que j’étais bien en zazen ! Bonjour ! Peace, love ! » avec les yeux écarquillés. « Attention, ne me parle pas trop fort parce que tu vas interrompre mon état d’esprit de zazen ! » Non, ce n’est pas du tout ça. Le maître même doit casser cela.
On doit couper complètement avec le zazen. J’avais appris ça aussi par la suite avec un maître de médecine chinoise qui parlait de la méditation et de Qi-gong. Il a donné même recommandation. Quand le Qi-gong est fini, quand la séance est terminée, on ne doit pas rester dans l’état d’esprit du Qi-gong.
Le zazen, c’est aussi considéré comme un Qi-gong, qu’on appelle le Qi-gong calme. On ne doit pas rester dans l’état d’esprit du zazen. Alors, comme c’est de la médecine, le maître Léon Cohen disait que l’on risque sinon d’attraper une maladie qui s’appelle le feu du dragon. C’est à dire qu’on devient barge quoi.
Donc, vous voyez, l’état d’esprit commence presque avant la poutre, avant la porte et il finit après la porte encore. C’est notre grande chance de pouvoir nous réinitialiser. C’est tout.
Des fois, on se dit c’est tout, le zazen, ce n’est pas la peine d’être prétentieux. C’est simple, c’est la pratique des Bouddhas. Les Bouddhas, ils pratiquent zazen, mais on est tous des Bouddhas. Mais un Bouddha qui ne pratique pas zazen, il oublie. Comme beaucoup d’entre nous. On oublie des choses qu’on savait, dont on se souvenait, très proches de notre naissance, quand on était tout petits. On les a oubliés, on ne sait plus bien qui en était. On a trop de soucis, de stress.
Eh bien, c’est la même chose. On oublie qu’on est Bouddha. On ne sait même plus ce que c’est. Et le zazen, c’est aussi réapprendre. Redécouvrir sa véritable dimension. Et ce n’est pas seulement redécouvrir sa véritable dimension, mais c’est être guidé. Être kidnappé. Par sa véritable dimension, par son véritable Soi. Accepter de se laisser guider par lui.